Le rut de l’isard

À l’approche de l’hiver, quand les sommets se parent des premières neiges, l’effervescence se fait sentir chez les isards. Dès le mois d’octobre, les premiers comportements typiques de la saison du rut peuvent commencer à être observés : courses poursuites, mâles avec la crête dorsale hérissée, bêlements rauques…

Un mâle isard avec pelage hérissé, caractéristique de la saison de rut. - Photo Arnaud Saguer

La fin de l’automne et le début de l’hiver sont d’une importance capitale chez cette espèce pyrénéenne. Les hardes d’isards se recomposent, une hiérarchie se met en place. Pendant 6 semaines, entre le mois de novembre et de décembre, les mâles de plus de trois ans ont leur chance d’accéder à la reproduction. Habituellement à l’écart des hardes de femelles et de jeunes, les boucs les rejoignent pendant le rut en ordre plus ou moins dispersé. Mais il ne faut pas qu’ils loupent le bon moment, car les femelles sont réceptives seulement 1 à 2 jours toutes les 3 semaines pendant la période de reproduction, tant qu’il n’y a pas fécondation.

Deux mâles isards convoitent la même femelle. - Photo Arnaud Saguer

Lors de la pleine saison de rut, les hardes sont plutôt mobiles, sans cesse dérangées par les assauts des mâles qui tentent de multiples approches auprès des femelles. Les comportements typiques sont nombreux et intéressants à observer. Les boucs approchent les chèvres, torse bombé, tête en arrière. Lorsqu’elles semblent réceptives, ils changent d’attitude et les approchent tête au raz du sol, museau retroussé en faisant ce que l’on appelle le flehmen. Il s’agit du moyen qu’ont les mammifères de capter les phéromones pour déterminer si, entre autres, leurs congénères sont réceptifs ou non à la reproduction. Si celle-ci est réceptive, elle le montrera au mâle par son immobilité, et l’accouplement pourra avoir lieu. Si elle ne l’est pas, elle s’enfuira ou lui fera face, en posture latérale, dos voûté, poil hérissé et tête dressée, posture utilisée également entre boucs lorsqu’ils se jaugent.

Comportement d’approche d’une femelle. - Photo Arnaud Saguer

Retrousser les lèvres lui permet de capter les phéromones. - Photo Arnaud Saguer

Un magnifique mâle. - Photo Arnaud Saguer

Les mâles isards ne se battent que très rarement. Les affrontements restent exceptionnels et ils utilisent plutôt des signes visuels ou des courses poursuites pour se confronter. Les postures d’intimidations sont nombreuses et chacune possède une signification bien précise. Un mâle qui s’ébroue, tête en avant et poil hérissé, qui fait osciller son dos latéralement en aspergeant ses flacs d’urine, laisse transparaître sa position de dominant. Une approche vers un autre mâle, tête baissée, cornes en avant et crinière hérissée, intime à l’intrus de s’enfuir illico. La posture d’intimidation latérale, identique à celle utilisée par les femelles, sert à présenter le plus fort volume corporel et ainsi dissuader l’adversaire. Les petits sauts, piétinements, cornes en avant, sont tant de moyens différents d’intimider les concurrents ou les mâles trop téméraires.

Tentative d’approche d’une femelle. - Photo Arnaud Saguer

Photo Arnaud Saguer

Photo Arnaud Saguer

Le plus impressionnant reste les courses poursuites entre mâles. Lorsque les postures ne suffisent plus à départager qui des deux mâles est le plus fort, s’en suit souvent une course poursuite exceptionnellement vertigineuse. Ils semblent voler au-dessus des pierriers, ils frôlent à peine le sol de leurs solides sabots. Ils peuvent perdre 100 mètres de dénivelé en quelques secondes, ou en gagner autant en si peu de temps qu’il n’en faut pour finir de lire cette phrase. Leurs capacités physiques sont impressionnantes et une chute, bien que dangereuse, reste particulièrement rare. Ils possèdent un cœur aussi gros que le nôtre pour un poids au moins trois fois inférieur. Cela leur confère des capacités inimaginables. Ils peuvent gravir 1000 mètres de dénivelé en moins de 15 minutes ! Un animal taillé pour la montagne. Parfois, lorsqu’aucun des deux individus ne s’avoue vaincu, ils peuvent se faire face et se battre. Le combat est alors violent et bref, les cornes fines ne résistent pas longtemps aux chocs et peuvent alors se briser. Il arrive de croiser des isards ne possédant qu’une seule corne.

Course poursuite entre 2 isards. - Photo Arnaud Saguer

Récit d’une journée d’automne

Un matin de novembre, dans une vallée encore givrée par le froid de la nuit, le bruit du torrent tumultueux résonne. Les roches sombres et les herbes folles sont couvertes d’une pellicule cristallisée d’eau pure. La lumière dorée du soleil sur le versant herbeux d’en face créé un chaud-froid saisissant. Un grand mâle file entre les herbes gelées, crête hérissée. Il arbore avec fierté son pelage hivernal, paré d’une écharpe beige de toute beauté.

Séjour nature éthique

Immobile, il devient presque invisible dans son environnement. Mais à cet instant, toute son attention est orientée vers un petit groupe constitué de femelles et d’éterlous. La saison des amours bat son plein et il concentre toute son énergie à trouver une femelle réceptive à ses avances. Dans les vallées où la chasse est interdite, les individus sont assez peu craintifs, notamment durant cette période. Il n’est pas rare de pouvoir approcher les mâles à moins de 30 mètres. Cette journée m’offrira des ambiances incroyables, comme souvent à la fin de l’automne. Après une apparition timide du soleil sur les coups de 13h, la vallée sera plongée à nouveau dans l’ombre du massif. La lumière rasante de l’après-midi permet de réaliser de splendides photographies.

Photo Arnaud Saguer

Photo Arnaud Saguer

Photo Arnaud Saguer

Photographier l’isard ne nécessite pas une logistique très importante. Selon les secteurs et les individus, ils peuvent tolérer la présence humaine à distance variable. Rien ne sert de se camoufler trop car ils n’arriveront pas à identifier l’intrus et s’enfuiront rapidement. Il faut donc soit privilégier un affût bien placé sur un lieu repéré auparavant, soit des approches en ne cherchant pas particulièrement à se cacher. Il faut toujours garder à l’esprit qu’au moindre dérangement, il faut abandonner l’approche et laisser la harde tranquille. Un dérangement excessif à certaines périodes peut être dangereux pour eux.

Le mâle bêle parfois lorsqu’il s’approche des femelles. Il possède un bêlement rauque et faible. - Photo Arnaud Saguer

Parfois les mâles bondissent presque sur place, tapent des deux pattes avant, sans pour autant partir au galop. - Photo Arnaud Saguer

Les isards sont l’une de mes espèces favorites. Ils ont d’étonnantes capacités à vivre dans des secteurs inhospitaliers. Vifs et téméraires, ils n’hésitent pas à parcourir les falaises abruptes pour s’isoler ou pour trouver quelques herbes lorsque la neige tombe en abondance. Toute la chaîne des Pyrénées est occupée par les isards, qui sont présent de 500 mètres d’altitude environ, jusqu’aux plus hauts sommets, à parfois plus de 3 000 mètres. On peut les rencontrer autant dans une végétation méditerranéenne, que dans des steppes d’altitude, ou les flancs rocailleux. L’hiver ils n’hésitent pas à se cacher en forêt pour échapper aux vents violents et au froid glacial. Une incroyable capacité d’adaptation pour cette espèce qui se rapproche phylogénétiquement davantage de l’antilope que de la chèvre !

Arnaud
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