Les vautours en France : espèces, histoire, menaces et perspectives

Ma première rencontre avec ces majestueux rapaces remonte à 2007, lors de quelques semaines estivales à compter les migrateurs sur le col d’Organbidexka dans les Pyrénées-Atlantiques. Ce site est connu pour être un des meilleurs en Europe de l’Ouest pour la migrations des rapaces et il se trouve au cœurs de colonies reproductrices de Vautours fauves, espèce la plus commune et répandue en France. Toutes les autres espèces de vautours sont également visibles ici. Les Vautours fauves sont présents quotidiennement depuis le spot de suivi de migration et ce sont jusqu’à des dizaines d’oiseaux qui survolent le col pour le plus grand bonheur des ornithologues et des visiteurs ! La situation n’a cependant pas toujours été identique à ces dernières décennies et il fut un temps, pas si lointain, où le ciel était vide de vautours.

Cet article sur les vautours va aborder les 4 espèces de vautours que nous pouvons observer en France, les critères d’identification, les causes de la disparition des vautours en France, l’histoire de la réintroduction, le statut et l’évolution des colonies actuelles ainsi que le travail de l’association Vautours en Baronnies avec qui nous collaborons.

Avant d’aller plus loin, faisons un rapide résumé des espèces de vautours en France. 4 espèces sont connues : le Vautour fauve, le Vautour moine, le Percnoptère d’Egypte et le Gypaète barbu.

Les vautours français, une histoire tragique

Tout d’abord, la question que certains lecteurs peuvent se poser est : qu’est-ce qu’un vautour et qu’est ce qui le différencie des autres rapaces ? Le vautour est un rapace nécrophage c’est-à-dire qu’il se nourrit de cadavres d’animaux et sa morphologie est particulièrement bien adapté à ce mode de vie (bec crochu, serres peu puissantes, système digestif acide favorisant l’élimination des bactéries).

Une fois les présentations faites, nous allons pouvoir aborder l’histoire des vautours en Europe et plus particulièrement en France. Les Vautours fauves sont présents depuis 1,6 millions d’années sur notre continent d’après les archives archéologiques et leur aire de répartition était bien plus vaste qu’actuellement où ils sont uniquement confinés aux régions méridionales. Depuis la domestication du bétail par l’homme, ces rapaces se sont adaptés et sont devenus fortement dépendants de ce dernier pour s’alimenter.

Carte de présence actuelle et historique des quatre vautours. Source : http://rapaces.lpo.fr/grands-causses/les-quatre-vautours

Carte de présence actuelle et historique des quatre vautours. Source : http://rapaces.lpo.fr/grands-causses/les-quatre-vautours

Carte de présence actuelle et historique des quatre vautours. Source : http://rapaces.lpo.fr/grands-causses/les-quatre-vautours

Le Vautour fauve

Vautour+fauve+en+vol+à+Rémuzat.jpg

Photo Jonathan Guillot

Vautour fauve en vol à Rémuzat

Photo Jonathan Guillot

Le Vautour fauve est l’espèce de vautour la plus commune en France. Il est très grand, avec une envergure allant de 230 à 265 cm, pour une hauteur de 95-110 cm. Le Vautour fauve est généralement l’archétype du vautour pour le néophyte. Il est celui qui apparaît en premier lors des randonnées pyrénéennes et dans une moindre mesure dans les Alpes et le Massif Central. Ses ailes digitées sont très longues et sa queue est courte, comme le Vautour moine. Contrairement à ce dernier, le Vautour fauve à une silhouette plus « arrondie » et un aspect bicolore : corps et avant de l’aile (couvertures alaires) d’aspect brun/roussâtre, queue et arrière de l’aile de l’aile (rémiges) noires ainsi que la tête claire. La différence entre jeunes oiseaux et adultes est subtile. Le plumage adulte est acquis en 5 à 6 ans comme chez le Vautour moine.

Le Vautour fauve a été quasiment exterminé en France en raison de l’usage de poison, de tirs et de la mise en œuvre de mesures sanitaires d’équarrissage obligatoire des cadavres du bétail. Ainsi l’espèce a disparu des Alpes et des Alpilles au XIXème siècle et du Massif Central (Grands Causses) en 1946. Il subsistait une seule petite colonie dans les Pyrénées dans les années 60. Les décennies suivantes ont vu l’application de mesures de protection (création de réserves naturelles et sites de nourrissage, mise en place de statuts juridiques de protection en 1962, programmes de réintroduction) qui ont permis à l’espèce de prospérer.

Le Vautour moine

Vautour+moine+en+France.jpg

Photo Jonathan Guillot

La deuxième espèce de vautour que l’on peut voir en France est également un géant. En terme de taille, le Vautour moine surpasse même le Gypaète barbu. Il est tout simplement le plus grand oiseau nicheur de France puisque les dimensions de cet oiseau vont de 250 à 285 cm d’envergure pour un poids variant de 5,5 à 9 kg !

Le Vautour moine est davantage localisé en France et on le trouve uniquement dans les Grands Causses, les Baronnies et dans une localité de l’Hérault. L’identification de cet oiseau est relativement aisée : de près, il apparaît très grand avec de longues et larges ailes et en comparaison au gypaète. Il possède une queue très courte lui donnant une silhouette rectangulaire bien particulière. L’extrémité des ailes est très digitée (c’est-à-dire que les plumes sont individuellement visibles, bien découpées sur l’aile et ressemblent à des doigts). Ce sont des oiseaux à dominante brune/noire, bien que les adultes aient la tête et la collerette plus pâles que les jeunes.

Le Vautour moine a connu un destin similaire au Vautour fauve puisque la date de sa dernière observation date de 1906 dans les Pyrénées et il a disparu pour les mêmes raisons que son cousin le Vautour fauve. Des traces de sa présence en France remonte loin au nord, jusque en Bourgogne au XI ème siècle ! Il se reproduisait au XIX ème siècle en Provence, dans les Pyrénées et dans le sud du Massif Central. A l’instar de son cousin le Vautour fauve, il a bénéficié de mesures spécifiques mais plus tardivement.

Le Gypaète barbu

Gypaète+barbu+en+vol.jpg

Photo Jonathan Guillot

Gypaète+barbu+en+vol (1).jpg

Photo Jonathan Guillot

Ils n’a pas connu une histoire contemporaine plus rose. Le Gypaète barbu a été quasiment exterminé en France où il ne subsistait que quelques couples dans les Pyrénées et en Corse et il a disparu de Suisse aux alentours de 1890. Il est le seul des 4 espèces de vautours à nicher aujourd’hui à la fois en France et en Suisse. La toute première vision du gypaète, un de nos plus grands oiseaux européens, est difficilement descriptible pour tout naturaliste mais également de toute personne ayant la chance de l’observer de près. Il n’est pas rare de l’observer, longeant les coteaux et les crêtes, parfois avec une très faible proximité, renforçant davantage cette impression de gigantisme et exposant ce côté majestueux qui lui est propre et laissant bien souvent sans voix ! Ce rapace est unique, ne serait-ce que de par son écologie et son plumage intriguant !

Pour vous le présenter, rien de tel que de citer le texte de l’ornithologue suisse Paul Géroudet : « Le plus étrange est son visage : cette barbiche double et rigide pointant au-dessous du long bec fortement crochu, ces brides noires encadrant le front, cette collerette gonflée qui grossit la nuque, ces yeux jaunes qui semblent cerclés de sang…Aspect terrible, assez inquiétant pour éveiller les superstitions – et pourtant le Gypaète est inoffensif sous ses dehors impressionnant : ce n’est qu’un charognard spécialisé dans la récupération d’os, dut-il en coûter aux souvenirs romantiques, et en captivité il est doux comme un agneau ».

Le Gypaète barbu est véritablement un géant parmi notre avifaune : son envergure oscille entre 235 et 275 cm et peut faire une longueur de 125 cm. Il pèse entre 5 et 7 kilogrammes. Et ce n’est pas tout ! Le plus vieille individu connu au monde avait 47 ans ! Il s’agissait d’un individu captif mais ce record est néanmoins à mentionner. On trouve l’espèce en montagne, en Suisse et en France (Alpes, Pyrénées, Corse). Il possède une silhouette élancée avec de longues ailes étroites et pointue ainsi qu’une longue queue étagée (dite cunéiforme : en forme de coins). L’adulte et le jeune ont des plumages très différents : alors que l’adulte a le dessous du corps clair (blanchâtre à beigeâtre voire ocre) et les ailes ainsi que les parties supérieures complètement sombres, le jeune est quant à lui uniformément sombre (gris/noir). Les oiseaux immatures (entre le plumage juvénile et le plumage adulte) muent 5 ans pour acquérir un plumage adultes et le plumage de ces derniers est intermédiaire durant toute la période comprise entre les stades immatures et adultes.

Pour plus d’informations, nous vous invitons à lire notre article dédié au Gypaète barbu.

Le Vautour percnoptère

Vautour+percnoptère+en+vol.jpg

Photo Arnaud Saguer

Vautour+percnoptère+en+vol (1).jpg

Photo Arnaud Saguer

Le Vautour percnoptère a vu ces effectifs diminuer drastiquement au XIX ème siècle avec une stabilisation à environ 60 couples dans les années 70. On note depuis cette période une augmentation modérée avec, comme pour le Gypaète barbu, des différences significatives entre les noyaux de population.

Le Vautour percnoptère est le plus petit vautour de France, avec une envergure comprise entre 155-170 cm et une hauteur de 55-65 cm. Il est localisé aux Pyrénées, Sud du Massif Central et Sud des Alpes. Il a une silhouette caractéristique : queue cunéiforme, des ailes assez larges et digitées ainsi qu’une petite tête. Les adultes ont un aspect bicolore typique avec des rémiges noires (excepté sur le dessus, ces rémiges sont blanches en leur centre) et un corps ainsi que des couvertures blanches/crèmes avec des nuances jaunâtres plus ou moins marquées sur certaines parties (tête, cou, poitrine, manteau). Les jeunes percnoptères sont quasi-uniformément sombres (bruns/noirs) avec certaines parties plus claires. A l’instar des espèces précédentes, les plumages des immatures sont intermédiaires jusqu’à l’acquisition du plumage adulte en 5 ans généralement.

Une renaissance réussie !

En France, le Vautour fauve a connu une expansion spectaculaire. Alors qu’il ne subsiste qu’une soixantaine de couples en 1960, les différentes mesures de protection se sont avérées payantes et les Pyrénées voient leurs effectifs tripler entre 1976 et la fin des années 1980 (par exemple on dénombrait 130-160 couples en 1986 et 230 en 1989). Cette augmentation est aussi le résultat de la bonne dynamique de la population espagnole voisine.

En parallèle, 5 programmes de réintroduction ont été mis en place entre 1968 et 2006. Alors qu’on comptait 600 couples en 2000- 2002, les effectifs nationaux étaient de 1 544 couples en 2013. Plus récemment en 2019, les comptages ont permis de recenser 1 254 couples uniquement dans les Pyrénées françaises. En outre, les colonies s’étendent et de nouveaux sites sont régulièrement utilisés pour la reproduction.

Le Vautour moine a été réintroduit en France dans les Grands Causses (Massif Central) avec 6 oiseaux libérés dans les gorges de la Jonte et du Tarn en 1992 afin de former un noyau de population. Jusqu’en 2003, des oiseaux seront relâchés et au total, 54 individus seront réintroduits en France. Le premier jeune issu de ces couples s’envole seulement en 2000 et la population est en lente évolution depuis. 28 couples reproducteurs ont été recensés en 2012 en France et par exemple en2019, les seules Grands Causses accueillaient 26 couples reproducteurs prouvant ainsi la dynamique lente mais positive de l’espèce. La progression de l’espèce est moins nette que le Vautour fauve en raison de plusieurs facteurs dont notamment les oiseaux lâchés qui sont pour moitié des jeunes et immatures contrairement aux Vautours fauves qui étaient adultes lors de leur réintroduction.

La reproduction du Vautour moine dans les milieux boisés est également un facteur de dérangement important (meilleure accessibilité en comparaison à la reproduction du Vautour fauve en falaise).

Enfin, des programmes de réintroduction ont vu le jour pour le Gypaète barbu dès les années 70 en France et en Suisse mais c’est réellement au milieu des années 80 qu’un programme international fut mis en place et porta ses fruits.

Aujourd’hui, alors que la population reste fragile, les effectifs globaux augmentent lentement même si des disparités locales sont observées (les nicheurs de Corse sont en phase de déclin important). En 2019, 46 couples sont connus dans toute la chaîne alpine et en France 66 couples sont recensés au total la même année. Entre 9 et 15 couples sont présents en Suisse.

Association Vautours en Baronnies

L’association des Vautours en Baronnies a été créée en 1992 afin d’assurer un suivi et un retour des populations des 4 espèces de vautours sur l’ensemble du massif des Baronnies, situé dans les Alpes françaises (essentiellement dans le département de la Drôme). L’association s’articule autour de 3 missions principales :

  • L’information et l’animation auprès du grand public et des scolaires ;

  • La gestion de la « Maison des Vautours » ;

  • La gestion du service « équarrissage » auprès des éleveurs de la région.

En se rendant sur place, il est ainsi possible de réaliser des sorties avec un ornithologue à la découverte des vautours, de visiter la maison des vautours sur la commune de Rémuzat où vous pourrez découvrir une exposition sur les vautours ainsi qu’un documentaire qui leur est consacré.

Les Baronnies sont particulièrement propices aux observations de l’ensemble de ces vautours et suivant les sites d’observations, les rencontres peuvent parfois se faire dans de très belles proximité et offrir des possibilités photographiques remarquables ! Nous organisons tous les ans des voyages nature à Rémuzat pour vous guider dans les meilleures zones pour rencontrer ces maîtres des airs ! Pour chaque séjour nous faisons une donation à l’association à hauteur de 10% du bénéfice.

Menaces pesant sur les rois des airs, un avenir positif qui reste à surveiller

Les menaces sont globalement les mêmes pour les différentes espèces de vautours. Les plus grandes espèces sont très vulnérables et sensibles aux câbles électriques et aux collisions avec les éoliennes mais également aux empoisonnements (directs ou indirects pour l’élimination des espèces considérées comme nuisibles). On notre d’autres causes telles que l’abandon du pastoralisme, les dérangements anthropiques, les activités de pleine nature en plein développement, etc. Les vautours sont grandement dépendants des politiques publiques et des décisions inhérentes aux ressources trophiques (importance de l’équarrissage naturel sans quoi les vautours ne pourraient prospérer et maintenir leurs populations actuelles).

Aujourd’hui encore les vautours, et notamment le Vautour fauve, sont loin d’être appréciés par tous. La presse régionale voire nationale fait parfois encore état d’attaques sur des troupeaux et même sur des êtres humains, en écrivant des articles sensationnels aux titres racoleurs et trompeurs.

Les vautours ne sont pas des tueurs sanguinaires assoiffés de sang. Une curée (nom donné aux groupes de vautours se nourrissant d’une proie) peut être impressionnante. On peut observer plusieurs dizaines de vautours se réunir autour d’un cadavre pouvant se battre entre eux en ayant la tête et le coup recouvert de sang.

Mis de côté cet aspect, ces grands rapaces n’ont pas les outils anatomiques pour attaquer et tuer une proie, ce sont des charognards (ils ont par exemple des griffes peu puissantes ne pouvant pas occasionner de blessures). Vous pouvez donc sortir tranquillement randonner et profiter du balai incessant de ces majestueux rapaces sans crainte. Observer un vautour sauvage est un privilège.

Emilien
Guide Salva Fauna


Références:

www.vautoursenbaronnies.com

www.vogelwarte.ch/fr/oiseaux/les-oiseaux-de-suisse/gypaete-barbu

Maumaury L. Valloton L. & Knaus P. (2007). Les oiseaux de Suisse. 848 p.

rapaces.lpo.fr/grands-causses/les-quatre-vautours

rapaces.lpo.fr/vautour-moine/suivi-et-conservation

Issa N. & Muller Y. coord. (2015). Atlas des oiseaux de France métropolitaine. Nidification et présence hivernale. LPO / SEOF / MNHN. Delachaux et Niestlé, Paris, 1 408 p.

Précédent
Précédent

8 bonnes raisons de faire un séjour nature en Camargue en hiver

Suivant
Suivant

Canon EOS R6, un hybride exceptionnel pour la photo animalière